Gone Home

ou la quintessence de la narration vidéo-ludique

 

Nom : Gone Home
Développeur : The Fullbright Company
Genre : Aventure / Recherche
Sortie : 15/08/2013
Support : PC/Mac
Multijoueur : Nope, vous êtes bel et bien seuls
Jouabilité : Clavier + souris
Prix : 18,99€ sur Steam ou 19,99$ sur le site officiel

 Gone Home est ce qu'on appelle communément un OVNI vidéo-ludique. Une chose est sure, c'est qu'il ne plaira pas au plus grand nombre. Difficile à cataloguer - et à défaut, on peut le classer dans le genre "aventure", ce jeu vous plonge dans une ambiance parfaitement maîtrisée où la narration est seule maîtresse à bord. Mais cela en fait-il pour autant un bon jeu ou n'est-ce ici qu'une lubie de joueurs arrogants ?

Vous voilà fraîchement débarquée dans la nouvelle demeure familiale où vous attendent une porte close et une note mystérieuse

Un premier jeu qui fait mouche

Pour une toute première réalisation, on peut dire que The Fullbright Company a transformé l'essai. Fondé en mars 2012 à Portland, Oregon, (USA), le studio se compose d'une petite équipe (Steve Gaynor, Johnnemann Nordhagen et Karla Zimonja auxquels viendra s'ajouter Kate Craig quelques mois plus tard). Les fondateurs du studio ne sont pas des novices et ont déjà travaillé sur des jeux AAA au sein de 2K, notamment XCOM, l'Antre de Minerve (DLC de Bioshock 2) et Bioshock Infinite, ce qui en soit, n'est pas une expérience dégueulasse.

Pour des raisons de budget, Steve, Johnnemann et Karla ont décidé de vivre ensemble, dans une maison en Oregon où ils développent le jeu dans leur cave. Si ça ce n'est pas revenir aux fondamentaux du jeu indé ! Nos jeunes gens savent où ils vont et le développement de Gone Home avance plutôt vite.

L'édition de juin 2013 du salon du jeu vidéo EGX Rezzed (anciennement EuroGamer eXpo, qui se spécialise depuis peu dans le jeu PC et Indé et se tient en Angleterre) a vu pour la première fois une démo publique de Gone Home voir le jour. Les développeurs n'ayant pas à l'époque les moyens ni le temps de faire le déplacement depuis les Etats-Unis, ils ont eu la bonne surprise de voir les organisateurs de l'expo installer eux-mêmes le stand et les PC nécessaires pour que les curieux puissent s'y essayer. Les premiers retours furent très engageants pour The Fullbright Company.

La fine équipe sort donc son tout premier jeu pendant le mois d'août 2013 et reçoit un accueil très chaleureux de la part de la presse spécialisée et des autres développeurs. Plusieurs sites en font leur "game of the year" de 2013 (IGN, Polygon...) et il reçoit de nombreuses nominations dans différentes catégories, dont les plus notables sont le prix de l'excellence narrative à l'IGF 2013, le meilleur premier jeu d'un studio par les Game Developers Choice Awards (dont les prix sont décernés par des développeurs) ainsi que le BAFTA (British Academy of Film and Television Arts, l'équivalent des Oscars en Angleterre) du meilleur premier jeu. Ca force le respect !

Mais la question qui se pose maintenant est : est-ce que Gone Home mérite véritablement tous ces prix ?

La fille prodigue est de retour !

Vous l'aurez compris, Gone Home c'est avant tout une histoire.

Vous incarnez Kaitlin Greenbriar ("Katie" pour les intimes), jeune femme de 22 ans fraîchement arrivée au domicile familial après une année passée en Europe. Le jeu s'ouvre sur un écran noir où vous entendez la voix de Katie (votre voix) sur le répondeur de ses parents indiquant qu'elle rentre plus tôt que prévu, suivie d'une date : le 7 juin 1995. Cette date est primordiale, mais j'y reviendrai en temps et en heure (c'est-à-dire d'ici quelques paragraphes et screenshots).

Vous vous tenez donc sur le porche d'une immense maison, en pleine nuit, accompagnée par le seul son de la tempête qui semble faire rage dehors. Un mot sur la porte d'entrée attire votre attention. Il s'agit d'une note, laissée par votre jeune soeur, Sam, qui s'excuse de ne pas être là et qui vous demande urgemment de ne pas chercher à la retrouver. Et tout le jeu vous est expliqué ici. Vous allez tenter de comprendre où votre cadette est partie, et surtout pour quelles raisons. C'est sûr, on est très loin des habituels "sauvez le monde et/ou la princesse" de la majorité des productions vidéo-ludiques.

Le coeur de cette aventure va donc consister à arpenter une maison qui vous est totalement inconnue (votre famille y ayant déménagé pendant vos voyages à l'étranger). Que dis-je une maison ? Il serait plus juste de parler de manoir vu l'ampleur des lieux. Mais attention ! Pas de sombre manoir glauque à la Resident Evil ou Alone in The Dark. Il s'agit d'une demeure tout ce qu'il y a de plus banale.

Les secrets d'une famille

Vous voilà donc seule, à parcourir l'endroit où ont vécu pendant plusieurs mois vos parents et votre jeune soeur Sam, à la recherche de réponses aux nombreuses questions que vous vous posez. A "l'intrigue" centrale du départ de votre soeur, vous chercherez aussi à comprendre pourquoi vos parents ne sont pas là pour vous accueillir et même les raisons de l'acquisition d'une telle demeure par votre famille.

Que cachent les sourires des Greenbriar ?

Votre rêve ultime de petit voyeur pervers va enfin être assouvi. Vous allez pouvoir fouiller pratiquement l'intégralité des lieux, des meubles, des papiers de cette maison, tout en découvrant petit à petit les facettes cachées de vos proches. Le dégoût de Katie quand elle découvre la revue porno cachée de son père (on est dans les années 90, donc point d'internet) ou les confessions de sa soeur sur sa première expérience sexuelle est tout simplement délicieux et renforce le lien qui vous unit avec le personnage que vous incarnez. L'histoire de cette famille fera nécessairement écho à un moment ou à un autre à votre propre expérience personnelle, et c'est là que le jeu prend toute sa dimension. Gone Home n'atteint son potentiel qu'en fonction de l'implication que vous y mettez.

Je ne peux décemment rien révéler de plus sur l'intrigue, si ce n'est que j'ai pris un réel plaisir à fouiner un peu partout pour en apprendre davantage sur cette famille somme toute ordinaire.

Vive les 90's

L'ambiance générale du jeu est très particulière. Pendant la première heure passée sur le jeu, je n'ai cessé de me demander s'il ne s'agissait pas là d'un énième survival horror qui allait me faire bondir sur mon siège via des jump scare à deux balles et irrémédiablement provoquer chez moi le seul moyen de défense que je connaisse face à ce type de jeu, le alt+F4. Vous êtes en effet une jeune fille seule, confrontée à un manoir désert en pleine nuit avec un orage qui gronde au dehors. Comme toute personne sensée, dès que vous entrerez dans une pièce sombre, vous vous jetterez sur l'interrupteur pour vous rassurer un peu. Vous ressentirez donc peser sur vos épaules une pression constante et palpable qui vous accompagnera lors de votre exploration.

Revenons maintenant à l'époque (bénie) à laquelle se déroule l'action. Vous êtes en 1995 et le jeu n'aura de cesse d'y faire référence, comblant de bonheur ceux qui ont connu les années 90.

Trouvez-moi une autre icône symbolisant le mieux les années 90 !

Qu'il s'agisse des différentes couvertures de magazines de rock de votre soeur, des compils sur cassettes audio (accompagnées de leur jaquette "fait-main"), des affiches de concert punaisées sur les murs, des VHS d'X-Files ou d'une note listant des combinaisons de touches pour effectuer les coups de Street Fighter 2, tout fleure bon les 90's.

Je me suis surpris plus d'une fois à remettre en boucle une cassette audio diffusant du rock dans le jeu pour faire taire ce silence assourdissant qui règne en ces lieux.

Bref, le jeu joue à fond la carte de la nostalgie de cette époque, bien trop peu représentée dans les jeux vidéo.

Quand la narration supplante le gameplay

Tout ça, c'est bien beau, mais quid du gameplay ?

Le jeu se passe en vue subjective. Vous disposez d'un inventaire et d'une carte du manoir. Et... c'est à peu près tout. Comme dans tout FPS, vous vous déplacez avec les touches de votre clavier et la souris vous sert à tourner la tête. Le clic gauche vous permet d'actionner des éléments ou de vous saisir d'objets, et le clic droit, maintenu appuyé, vous permet d'observer un objet sous toutes ses coutures.

Les interactions avec votre environnement sont nombreuses

Vous l'aurez compris, le gameplay se contente du minimum et ne sert ici que d'interface nécessaire pour vous plonger dans l'univers du jeu.

La progression dans l'histoire se fera via certains extraits audio du journal intime de votre soeur qui s'activeront d'eux-mêmes après avoir trouvé tel ou tel élément. Sam, d'une voix désincarnée, vous en apprend ainsi un peu plus sur son histoire, vous permettant d'appréhender peu à peu ce qui lui est arrivé pendant votre absence. Cela rappelle énormément le système des journaux audio, popularisés par la série des Bioshock. Au passage, il faut préciser que pour le moment, aucune traduction n'existe et que le jeu et ses nombreux textes sont entièrement en anglais, ce qui peut être un frein pour les plus anglophobes.

Bref, autant le dire tout de suite, comme tout jeu original, Gone Home divise la communauté des gamers.

Un jeu de niche

Il est en effet important de savoir dans quoi on s'embarque avant de débourser les presque 20 euros pour acquérir le jeu. Le prix élevé pour seulement deux à trois heures de jeu m'empêche de le conseiller au plus grand nombre. Il s'adresse avant tout aux joueurs qui ont soif d'innovation et surtout de narration, et qui placent le scénario au premier plan. Pour les autres, il ne s'agira que d'un jeu de recherche fade, sans énigme, sans ennemi et sans intérêt. Je ne leur jette pas la pierre, et je pense que la plupart des jeunes joueurs nés dans les années 2000 ne pourront pas saisir la magie du jeu, les références aux années 90 forgeant une vraie identité au soft, indissociable de son succès critique.

Gone Home parlera sans doute beaucoup plus à ceux qui ne recherchent pas uniquement le gameplay dans les jeux vidéo. Et mine de rien, depuis quelques années, une nouvelle ère semble s'ouvrir. Les récentes productions de Telltale (The Walking Dead, The Wolf Among Us) ou de Quantic Dream (Heavy Rain, Beyond Two Souls) ont fait la part belle à l'histoire et au background des personnages et ont comme point commun d'avoir un gameplay très limité à base de QTE. Bien que décriés, ces jeux ont remporté malgré tout un énorme succès critique et un accueil favorable auprès d'un certain public.

L'un des développeurs, Steve Gaynor, a résumé ainsi sa vision de Gone Home dans une interview : "Being hands-off with the player and trusting them to discover what’s interesting about the gameworld on their own yields the best results in my opinion. It’s what I want, anyway." (qu'on pourrait traduire par "Laisser de la liberté aux joueurs et leur faire confiance pour découvrir tout seuls ce qui est intéressant dans l'univers du jeu est ce qui donne, selon moi, de meilleurs résultats. C'est ce que je recherche, en tout cas".)

Ne soyons pas non plus trop manichéen, et il serait inutile d'opposer ici le génialissime gameplay des jeux mario dénués de scénario avec des jeux à l'histoire bien plus développée. Tous ont leur place dans le monde du jeu vidéo, et c'est ce qui en fait sa richesse culturelle.

Mais force est de constater qu'il fait du bien, de temps en temps, de rencontrer des jeux comme Gone Home qui apportent la maturité qui manque parfois à ce média encore jeune.

Graphismes : A vrai dire, je ne m'étais jusque-là pas poser une seule fois la question de savoir si Gone Home était un jeu "beau". Tout simplement parce que les textures réalistes du manoir où vous évoluez vous font peu à peu oublier les codes classiques du jeu et vous plongent dans un univers tellement réaliste et crédible que vous ne pensez plus en termes de qualité de résolution ou autre. En cela, il atteint parfaitement son but.

Ambiance sonore : Ici, pas (ou très peu) de musiques d'ambiance. Vous évoluez dans cette immense maison accompagnés de vos seuls bruits de pas et du son de l'orage grondant au dehors. Cette ambiance est très bien rendue et je me suis surpris à sursauter suite à un grondement de tonnerre trop proche. Les cassettes audio (années 90 obligent) que vous choisirez ou non de jouer pour détendre l'atmosphère pesante évoquent avec nostalgie le rock de cette époque.

Durée de vie : Elle dépendra de votre implication dans le jeu, de votre envie de fouiner partout et d'en apprendre davantage sur votre famille et leurs petits secrets. Objectivement courte (2 à 3 heures pour moi) elle se suffit à elle-même et l'aventure se finit sans créer de frustration. Un bon dosage donc, malgré un prix excessif pour la durée de vie (d'autant qu'il n'y a quasiment aucune valeur de rejouabilité).

Originalité : La narration, juste la narration, rien que la narration. Bien que d'autres jeux à la première personne aient déjà exploré ce créneau (on pensera notamment à Dear Esther), Gone Home semble vraiment augurer d'un nouveau style de jeu qu'on a hâte de voir se développer.

 

Anecdote : Oui, à un moment bien précis, j'ai sursauté comme une merde et ai failli faire alt+F4 et ne jamais connaître le fin mot de ce superbe jeu...

Publié le 2 mai 2014

acronyme de "First-Person Shooter", littéralement "jeu de tir à la première personne". Il s'agit d'une catégorie de jeux dans laquelle vous voyez au travers des yeux de votre personnage pour tirer sur des ennemis (il s'agit généralement de jeux de guerre).
Ce terme peut revêtir différents sens mais est généralement employé comme synonyme de jouabilité, de confort de prise en main d'un jeu.
(Acronyme d'Independent Games Festival) plus important festival du jeu indépendant, fondé en 1998, qui récompense et encourage les jeunes développeurs lors d'un concours annuel, lors de la GDC (Game Developers Conference).
qualifie un jeu à gros budget bénéficiant d'une très grosse couverture médiatique et d'un marketing très conséquent.